Loyers encadrés : le grand mensonge ? Quand les propriétaires jouent avec les règles et les locataires trinquent

26 août 2025
Imaginez un instant : vous signez un bail pour un deux-pièces parisien, pensant bénéficier de la protection de l’encadrement des loyers. Sauf que, mois après mois, votre budget fond comme neige au soleil. Pourquoi ? Parce que votre loyer dépasse allègrement les plafonds légaux. Pire : cette situation n’a rien d’exceptionnel. En 2024, près d’un tiers des annonces dans la capitale bafouent ouvertement la loi. Comment en est-on arrivé là ? Et surtout, comment s’en sortir quand les propriétaires malins transforment la réglementation en colander ? Plongeons dans les coulisses d’un système où les bonnes intentions se heurtent à une réalité implacable : celle d’un marché immobilier où les dés sont pipés.

Encadrement des loyers : un dispositif en papier mâché ?

Sur le papier, l’idée était séduisante : protéger les locataires dans les zones où la demande explose, comme Paris ou certaines villes de banlieue. Depuis 2014 et la loi Alur, puis 2018 avec la loi ELAN, les loyers de référence sont censés servir de garde-fou. Un calcul savant, basé sur la localisation, la taille du logement et son année de construction, devait mettre fin aux dérapages. Las ! La théorie se fracasse contre un mur de réalités. D’abord, parce que les zones tendues – ces territoires où l’offre est rare et les prix fous – sont devenues des terrains de jeu pour les bailleurs les plus inventifs. Ensuite, parce que les contrôles, eux, brillent par leur discrétion. Résultat ? En 2022, 28 % des nouveaux baux parisiens dépassaient les plafonds autorisés. Un chiffre qui donne le vertige… et qui pose une question lancinante : à quoi servent des lois si personne ne les fait respecter ?
Pire encore : le phénomène n’est pas nouveau. Entre 2015 et 2017, déjà, 21 à 26 % des loyers franchissaient allègrement la ligne rouge. Comme si, année après année, les propriétaires avaient appris à danser avec les failles du système. Et aujourd’hui, force est de constater que la musique n’a pas changé. Les associations de consommateurs tirent la sonnette d’alarme, les députés interrogent le gouvernement… mais sur le terrain, les locataires continuent de payer le prix fort. Littéralement.

Loi Alur, loi ELAN : des ambitions trahies par la pratique

En 2014, la loi Alur naissait avec une promesse : en finir avec les hausse abusives de loyers et instaurer plus de transparence. Quatre ans plus tard, la loi ELAN relançait l’expérimentation, notamment à Paris, avec des loyers de référence censés s’adapter à chaque situation. Sur le principe, tout était parfait. Sauf que, comme souvent, le diable se niche dans les détails. Ou plutôt, dans les combines imaginées par certains bailleurs pour tourner les règles à leur avantage.
Prenez l’exemple des baux de résidence secondaire. Une faille béante dans le dispositif. La loi, en effet, ne soumet pas ces contrats à l’encadrement, sous prétexte que le locataire dispose déjà d’un logement principal. Sauf que, dans les faits, nombreux sont les propriétaires qui imposent ce type de bail… alors même que le locataire y vit à l’année. Conséquence ? Des loyers gonflés de 20 à 40 % par rapport aux plafonds légaux. Une aubaine pour les bailleurs, un cauchemar pour les locataires. Et quand ces derniers tentent de contester, la charge de la preuve leur incombe : à eux de démontrer qu’ils occupent bien le logement comme résidence principale. Un parcours du combattant.
Autre technique en vogue : les compléments de loyer fantaisistes. La loi autorise ces majorations… mais uniquement si le logement présente des "caractéristiques exceptionnelles". Or, dans les faits, certains propriétaires n’hésitent pas à facturer un supplément pour un simple balcon, une salle de bain rénovée ou un lave-vaisselle. Des équipements qui, soyons clairs, n’ont rien d’exceptionnel dans une capitale comme Paris. Pourtant, ces pratiques illégales prospèrent, faute de contrôles suffisants. La CLCV, une association de consommateurs, a même révélé que dans plus de la moitié des cas étudiés, ces compléments reposaient sur… rien du tout. Ou presque.

Les quatre combines préférées des propriétaires pour vous faire payer plus

Si l’encadrement des loyers était un jeu vidéo, certains bailleurs auraient déjà débloqué tous les niveaux. Leurs armes ? Quatre techniques redoutablement efficaces pour contourner la loi. Première d’entre elles : le bail de résidence secondaire, que nous avons évoqué. Une astuce si simple qu’elle en devient géniale… pour ceux qui en profitent. Seconde méthode : la division artificielle des biens. Comment faire ? Prenez un appartement de 50 m², découpez-le en deux studios de 25 m², et louez chaque unité à un prix au mètre carré bien supérieur au plafond autorisé. Non seulement cette pratique est illégale, mais elle pose aussi des problèmes de sécurité et de salubrité. Sans compter qu’elle aggrave la crise du logement abordable en réduisant encore l’offre.
Troisième technique : les annonces incomplètes ou mensongères. La loi est claire : toute annonce doit mentionner la zone soumise à encadrement, le loyer de référence, et le montant des éventuels compléments. Pourtant, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) constate chaque année des dizaines de cas où ces informations manquent à l’appel. Résultat ? Impossible pour le locataire de vérifier la conformité du loyer avant même de visiter. Certains propriétaires vont même jusqu’à afficher un loyer "charges comprises" sans préciser la ventilation, brouillant ainsi les pistes.
Enfin, dernière combine – et non des moindres : les compléments de loyer abusifs. Comme évoqué plus tôt, la loi autorise ces majorations… mais sous conditions strictes. Dans les faits, beaucoup de bailleurs en abusent, facturant des suppléments pour des équipements banals. Et quand on sait que ces pratiques sont rarement sanctionnées, on comprend pourquoi elles perdurent. Le pire ? Ces méthodes, parce qu’elles sont tolérées par manque de moyens de contrôle, sapent peu à peu la crédibilité de l’encadrement des loyers. À tel point que certains se demandent si le dispositif n’est pas devenu une coquille vide.

Locataires : comment se défendre quand la loi est bafouée ?

Face à ces dérives, les locataires ne sont pas totalement désarmés. La loi ELAN, dans son article 140, prévoit plusieurs recours. Premier réflexe : la Commission départementale de conciliation (CDC). Gratuite et accessible, cette instance réunit propriétaires et locataires pour trouver une solution amiable. Le locataire a trois mois, à partir de la signature ou du renouvellement du bail, pour la saisir. Une étape souvent recommandée avant d’envisager des mesures plus radicales.
Si la conciliation échoue, ou si le locataire préfère aller directement au combat, le tribunal judiciaire entre en scène. Trois demandes peuvent être formulées : la réduction du loyer au montant légal, le remboursement des sommes trop perçues, et l’annulation d’un éventuel complément abusif. Une procédure qui peut faire peur, mais qui a le mérite d’être efficace : la décision du juge s’impose au propriétaire, et peut être assortie de pénalités en cas de refus d’exécution. Dans certains cas, le juge peut même ordonner la modification du bail. De quoi faire réfléchir les bailleurs les plus récalcitrants.
Autre outil à disposition : les dispositifs en ligne. Plusieurs collectivités, à l’image de Paris, ont mis en place des simulateurs pour vérifier en quelques clics si un loyer respecte l’encadrement. Certaines vont plus loin en proposant des formulaires de signalement. Ces alertes peuvent déclencher des contrôles par les services préfectoraux ou municipaux, sans que le locataire ait à engager une action en justice. Une solution pratique, mais encore trop peu utilisée. Pourquoi ? Par méconnaissance, souvent. Par crainte des représailles, parfois. Pourtant, ces outils pourraient bien être la clé pour faire bouger les lignes.

Sanctions : quand la loi montre (enfin) les dents

Si les locataires ont des recours, les propriétaires frauduleux ne sont pas pour autant à l’abri. La loi ELAN a en effet prévu un arsenal répressif pour ceux qui bafouent l’encadrement des loyers. Les amendes peuvent atteindre 5 000 € pour un particulier et 15 000 € pour une agence ou une société. Sans compter l’obligation de rembourser les sommes indûment perçues depuis le début du bail. Un propriétaire qui aurait touché 200 € de trop chaque mois pendant un an ? Cela fait 2 400 € à restituer, en plus de l’amende. De quoi calmer les ardeurs des plus gourmands.